Dankesrede – Bern, 15.11.2019 (Video + Text – französisch)

Frankreich

Jacques Aumont

Balzan Preis 2019 für Filmwissenschaft

Für seine Rolle bei der Begründung der Filmwissenschaft als universitärer Disziplin. Für seine Leistung bei der Bestimmung des Konzepts der Filmästhetik und insbesondere der filmischen Bildlichkeit. Für seinen Beitrag zur Interpretation der „Sprache“ des Kinos und seiner Geschichte.

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Madame la Présidente,
Mesdames et Messieurs les membres de la Fondation Balzan,
Mesdames, Messieurs,

Dans une pièce qui reprend le mythe d’Amphitryon, et qu’a naguère assez lâchement adaptée Jean-Luc Godard, Jean Giraudoux fait dire ceci à Alcmène: « Je suis fière si je me compare, humble si je me considère ». Permettez-moi, avant toute chose, de vous remercier pour m’avoir permis d’inverser cette formule. Me voici devant vous, en effet, très fier de me considérer. Fier d’avoir obtenu une haute distinction intellectuelle et morale, à laquelle peu d’autres récompenses peuvent s’égaler, et profondément honoré par la description laudative qui a été faite de mon travail. Me voici cependant contraint à l’humilité, si je pense à tant de grands hommes et femmes qui, naguère ou jadis, ont moins été distingués par le prix Balzan qu’ils ne l’ont eux-mêmes distingué. Me voir devenu le compagnon de tant de ceux qui m’ont formé, que j’ai de loin aimés et admirés, cela ne peut que me rappeler au sens des proportions. Je vous dis, ainsi, ma reconnaissance de m’avoir permis à la fois de me voir distingué, au sens le plus littéral, et de m’avoir, par un acte peut-être un peu plus fictionnel, fait l’égal de tant de grands esprits.
Je serais cependant mal venu de penser que cette distinction n’a visé que moi. Par le jeu de l’histoire et des circonstances, j’ai eu la chance insigne de commencer à travailler sérieusement au moment même où les études sur le cinéma prenaient une tournure à la fois scientifique et académique, et je ne puis ici ne pas évoquer au passage la mémoire de Christian Metz, qui fut mon maître et aussi mon ami, et sans le travail pionnier de qui nous ne songerions peut-être pas aujourd’hui à honorer l’étude du cinéma.
Le cinéma, comme pratique, comme spectacle, comme média, comme institution, a plus de cent ans ; son étude rationnelle et systématique n’a commencé qu’il y a un demi-siècle. Choisir, comme intitulé d’un des prix Balzan de cette année, les « études cinématographiques », est un signe très fort envoyé à tous ceux qui y participent. Ma candidature a été généreusement appuyée par six de mes collègues, de six nationalités différentes, d’âge et de tempérament divers, mais qui tous ont manifesté par là un même sentiment d’appartenir à une collectivité de concepts et de visées. Je dois donc, ici, vous remercier aussi en leur nom, et, si cela ne semble pas trop abstrait, au nom des études cinématographiques mondiales, qui se voient ici reconnues au plus haut niveau.
L’une des particularités du Prix Balzan est de n’être pas décerné selon des intitulés fixes, et de faire de chacun de ses récipiendaires une petite singularité. Il y a pourtant, dans la liste des lauréats, de grandes connivences souterraines, des idées, des héritages qui circulent, des parentés qui s’établissent muettement. Le destin des études cinématographiques, dans le monde entier, est de n’avoir jamais pu choisir tout à fait entre l’art, l’industrie, le divertissement, les médias ou l’idéologie, tout simplement parce que le cinéma a incarné tout cela – aujourd’hui plus que jamais, sous des formes dont beaucoup sont nées avec notre siècle. Mais si je défile mentalement la liste des intellectuels que vous avez discernés dans le passé, je vois bien que vous avez voulu qu’un fil fût tissé : celui, pour le dire vite, de la philosophie de l’art. C’est, pour ce qui concerne mon humble et fière personne, un grand compliment. C’est aussi un signe particulièrement encourageant pour les jeunes chercheurs qui, travaillant sur un objet de plus en plus diffusé mais de plus en plus diffus, ont souvent du mal à faire reconnaître la validité, voire la légitimité, d’une approche des images mouvantes par le biais le plus naturel, celui d’une théorie des formes.
Je souhaite donc vous remercier encore d’une troisième manière, tout aussi essentielle à mes yeux si ce n’est davantage. De l’industrie et de la technique à l’art, le cinéma a eu un contenu bien variable : distraction et investissement fictionnel, mais aussi contemplation, voire réflexion. Il mobilise l’imaginaire en même temps que le symbolique ; il soulève la question du goût et celle de l’influence. Les études sur le cinéma l’ont pris, en leur début, avant tout comme une manifestation d’ordre langagier et esthétique – y compris au sens premier de ce dernier terme, celui de la sensation. Mais le fait le plus marquant des deux dernières décennies, dans les études cinématographiques universitaires, est le recours croissant à de nouvelles approches, issues des sciences humaines – histoire, sociologie, anthropologie – ou reflétant certains courants idéologiques prégnants. Loin de moi le désir de contester la légitimité de la sociologie ou de l’histoire du cinéma ; il n’est jusqu’aux études de genre ou postcoloniales qui puissent ajouter à notre connaissance.
Mais dans ce grand mouvement d’idées, l’approche proprement esthétique, celle qui voit moins dans le cinéma un véhicule d’idées qu’un médium et un site d’invention, a tendance à se voir négligée. M’avoir choisi, je veux le croire, signifie que vous avez voulu aussi encourager la reprise et le progrès de cette approche – évidemment, sur des bases rénovées à l’usage de notre siècle. Il est bon d’étudier les effets politiques des bandes que nous voyons un peu partout, à la télévision, sur Internet. Il est très bien d’y pointer tel ou tel courant idéologique, de le critiquer ou de l’encourager, pour ne pas oublier que le cinéma a pu signifier la liberté comme l’aliénation. Il est excellent de faire précisément l’histoire des films, des courants créateurs, des inventions techniques. Toutes les sciences humaines ont amplement leur mot à dire sur les images en mouvement. Mon inébranlable conviction toutefois est que, quoi qu’on fasse, il faudra toujours en venir à une réflexion sur la nature et la forme propres de ce médium, et même, qu’il faudra toujours commencer par là. Quoi qu’elle semble dire, quoi qu’elle semble véhiculer, une forme symbolique, surtout si elle manipule des images, est d’abord cela : une forme. En comprendre la rationalité, c’est s’ouvrir la possibilité d’en comprendre les moyens et les buts – et pas l’inverse.
Si vous le permettez, c’est donc non seulement en mon nom, non seulement au nom de mes collègues, mais au nom de l’esthétique des formes filmiques que je vous remercie, et c’est évidemment en ce sens que je ferai mon possible pour mettre en œuvre un programme de recherche digne de vous, de nous, de la pensée sur l’art et sur les formes symboliques, et, je l’espère, de la pensée tout court.

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