USA/Catalonia
2013 Balzan Prize for Sociology
Acceptance Speech – Bern, 15.11.2013 (French)
Monsieur le Conseiller fédéral,
Monsieur le Président du Comité général des Prix Balzan,
Présidents de la Fondation Balzan,
Membres du Comité du Prix Balzan,
Chers collègues, chers membres de ma famille, chers amis,
Mesdames et Messieurs.
C’est avec une profonde gratitude envers la Fondation Balzan et le Comité du Prix Balzan que j’ai l’honneur d’accepter ce Prix, généralement considéré à juste titre comme l’un des prix les plus significatifs dans la reconnaissance de la pensée et de la création humaines.
Je suis particulièrement heureux et honoré par ce Prix à plusieurs égards.Tout d’abord parce que c’est pour moi une grande distinction d’être associé au nom d’Eugenio Balzan avec qui je partage quelques similitudes dans mon experience de vie. Comme lui, j’ai dû quitter mon pays d’origine, l’Espagne, car je me suis opposé de toutes mes forces au fascisme de Franco, ami de Mussolini, pour refaire ma vie en France d’abord, et finalement aux Etats Unis. Comme lui, je suis convaincu que la communication est une dimension essentielle de la société et un champ décisif de la lutte pour la liberté. C’est pourquoi, tout en étant sociologue de formation, je me suis spécialisé dans la recherche sur la transformation de la communication en analysant les effets sociaux des technologies de communication numérique et je suis devenu professeur de communication.
Ce que ma recherche a montré c’est que la diffusion d’Internet, un réseau de réseaux d’ordinateurs, et des plateformes portables de communication numérque ont permis la formation d’une nouvelle structure sociale, la société en réseaux, comme auparavant la distribution décentralisée de nouvelles sources d’énergie avait constitué les fondations de la société industrielle. La société en réseaux a été le résultat d’une évolution multidimensionnelle de la production, de la finance, du travail, de la culture, de la science, de la sociabilité, de la politique. Mais on ne peut la comprendre dans toute sa complexité sans l’étude scientifique de la relation et interaction entre la dynamique des réseaux sociaux et organisationnels et les technologies de communication à base micro-électronique et transmission numérique. C’est à cette étude que je me suis attelé depuis deux décennies. Ainsi, la recherche reconnue par le Prix Balzan se situe d’une certaine manière dans la lignée historique des préoccupations d’Eugenio Balzan.
Plus encore, la construction d’une théorie des réseaux comme base de l’organisation humaine pourrait permettre un jour, peut-être, de trouver un langage commun avec les sciences de la vie et avec les sciences de l’informatique et la communication électronique centrées sur l’étude des réseaux dans la nature et dans la matière. Il ne s’agirait pas d’une théorie unifiée des sciences, car la science évolue en fait vers la diversité des champs scientifiques. Plutôt, j’envisage la possibilité d’une interaction accrue entre les différents domaines de la recherche scientifique à partir d’un langage relativement commun, et d’un ensemble conceptuel construit autour d’une théorie des réseaux comme morphologie essentielle tant dans la société que dans la nature.
J’apprécie tout particulièrement le fait que ce prix soit à partager avec de jeunes chercheurs, avec qui je collabore. Ceci a été une constante dans ma carrière: mes doctorants et jeunes chercheurs ont été une source essentielle d’inspiration et d’apprentissage pour mon travail tout au long de ma vie, que ce soit à Paris, à Berkeley, au MIT, à Barcelone, à Cambridge ou à Los Angeles. Et c’est donc avec enthousiasme que je m’apprête à partager avec eux ce Prix dans des projets de recherche qu’ils mèneront dans les années à venir.
Enfin, j’ai constaté, en lisant les discours des lauréats Balzan qui m’ont précédé, que la tradition est de mentionner les quelques personnes qui ont été essentielles dans la vie et la recherche des lauréats. Ainsi, je veux exprimer ma reconnaissance, en cette occasion si spéciale, à mon père intellectuel, le grand sociologue Alain Touraine; à ma femme Emma Kiselyova, ici présente, avec qui on a partagé tant d’années de vie, de travail et de bonheur; à ma fille Nuria, ici présente également, ainsi qu’ à mon petit-fils, Gabriel, qui est ici avec moi et qui a un certain rapport avec la tradition Balzan, car, tout comme ma petite-fille Clara, ils sont tous deux nés à Varese et ont grandi à Genève. Je veux aussi évoquer ma belle-fille Lena et ma belle-petite-fille Sasha, et enfin ma soeur Irene et mon beau-frère José. Je suis aussi touché par la présence de mon meilleur ami, Mr David Berry, qui s’est déplacé de San Francisco pour être aujourd’hui ici parmi nous. Un grand merci à tous.
Et c’est ainsi que s’entrecroisent, au carrefour de l’existence, la joie de la découverte et la joie de vivre. En communication.
Manuel Castells