Belgium
2017 Balzan Prize for The Sun’s Planetary System and Exoplanets
Seeking other worlds: Bern, 17.11.2017 – Forum (Video + Text – French)
Après des études secondaires en demi-teinte et un parcours de sept ans dans l’armée belge, je me suis lancé en 1998 – à vingt-quatre ans – dans des études scientifiques à l’Université de Liège, d’abord en biologie, puis en biochimie et en physique, et finalement en astrophysique. En 2002, j’ai alors entamé, toujours à Liège, une thèse de doctorat axée sur la mission spatiale CoRoT, sous la supervision du Professeur Pierre Magain. Dirigée par la France et conduite en partenariat avec l’ESA et plusieurs pays européens dont la Belgique, CoRoT [1] (Convection, Rotation and planetary Transits) avait deux objectifs scientifiques principaux, à savoir l’étude de la structure interne des étoiles et la recherche de planètes extrasolaires (exoplanètes). Mes premiers travaux furent consacrés à l’étude spectroscopique d’étoiles cibles du volet stellaire de la mission. Au fil de ma thèse, je fus de plus en plus attiré par son volet exoplanètes, pour finir par m’y consacrer totalement. Il y avait alors à peine dix ans que les premières exoplanètes avaient été découvertes autour d’un pulsar [2], et sept années que Michel Mayor et Didier Queloz avaient détecté 51 Pegasi b [3], la première exoplanète en orbite autour d’une étoile similaire au Soleil. Ces découvertes séminales, et les nombreuses autres qui suivirent, démontrèrent que le processus de formation planétaire était le sous-produit naturel de la formation stellaire, confirmant ainsi sa nature universelle. A peine deux ans avant le début de ma thèse avait eu lieu une découverte tout aussi fondamentale, à savoir la première exoplanète en transit [4,5]. C’étaient de telles planètes que CoRoT ambitionnait de détecter en grand nombres, et c’est à elles que j’ai consacré la majeure partie de mes travaux depuis 2002.
En astronomie, le terme « transit » désigne le passage d’un corps devant un objet plus gros, généralement une étoile. On parle ainsi du transit de Vénus ou de Mercure devant le Soleil. Dans le cas du transit d’une exoplanète, celle-ci masque une partie du disque de son étoile hôte, entraînant une chute de sa luminosité apparente. Cette éclipse partielle rend donc possible la détection indirecte d’une exoplanète, à condition de mesurer l’évolution de la brillance de son étoile (photométrie temporelle) de manière suffisamment précise. Cette méthode de détection est à distinguer de celle dite « des vitesses radiales » utilisée par Mayor et Queloz pour détecter 51 Pegasi b, qui repose sur l’influence gravitationnelle de la planète sur l’étoile, responsable d’une oscillation de la vitesse de cette dernière dans la direction de l’observateur. La méthode des transits nous renseigne sur la taille d’une exoplanète – plus elle est grosse, plus elle cache l’étoile, et donc plus la chute de la brillance apparente du système est forte – tandis que la méthode des vitesses radiales permet d’estimer sa masse – plus elle est massive, plus elle perturbe le mouvement de l’étoile. En combinant les deux méthodes, on a alors accès à la densité de la planète, et donc à une estimation de sa composition générale (par ex. rocheuse ou gazeuse). Mais les transits offrent bien plus. En effet, lors d’un transit planétaire, une petite partie de la lumière émise par l’étoile dans notre direction va passer dans l’atmosphère de la planète et être filtrée par celle-ci. En comparant le spectre de l’étoile (la distribution de sa lumière en fonction de la longueur d’onde) tel qu’observé durant et en dehors du transit, on peut ainsi contraindre la composition de l’atmosphère de la planète [6]. En 2001, une équipe américaine dirigée par l’astronome David Charbonneau a établi cette technique en révélant, grâce au télescope spatial Hubble, des traces de sodium dans l’atmosphère de la planète HD209458b [7]. Cette première détection de l’atmosphère d’une exoplanète était non seulement historique, mais aussi riche de promesses. En effet, ce résultat sensationnel démontrait que l’étude détaillée de mondes extrasolaires était possible, sans même avoir besoin de les résoudre spatialement de leurs étoiles hôtes (imagerie directe).
Les transits de HD209458b avaient été découvert avec des télescopes de taille modeste opérant depuis la Terre. Affranchi de l’effet négatif de l’atmosphère terrestre sur la précision photométrique, un télescope spatial optimisé devait pouvoir détecter des planètes bien plus petites, y compris des planètes de type terrestre. C’était là tout l’objectif du volet exoplanétaire de la mission CoRoT. En observant de manière très précise, depuis l’espace, l’évolution de la brillance de centaines de milliers d’étoiles durant des mois, le satellite était présenté comme capable de détecter des exoplanètes aussi petites que la Terre. Cette perspective m’enthousiasmait au plus haut point. Au bout d’un an de thèse, je décidai donc de réorienter partiellement mes travaux vers les transits, grâce à l’aide de Pierre Magain et d’un chercheur post-doctorant de son équipe, Frédéric Courbin. Celui-ci parvint à me fournir des données issues d’un nouveau projet de recherche de transits à partir du sol, et je m’attelai à traiter ces données avec une nouvelle version, nommée Decphot [8,9], d’une méthode d’analyse d’images [10] mise au point par Pierre Magain, Frédéric Courbin, et Sandrine Sohy, afin de mesurer de manière la plus précise possible la variation de la brillance des étoiles présentes dans les images et d’augmenter ainsi la sensibilité à d’éventuels signaux de transit. En parallèle à cette tâche, je me lançai, avec l’aide de Pierre Magain, Frédéric Courbin, et Benoit Borguet, dans une estimation du potentiel de différents types de recherche de transits (depuis le sol, l’espace, dans l’optique ou l’infrarouge…). Les résultats de cette étude [11] furent plutôt décevants pour CoRoT, lui prédisant un potentiel très limité pour la détection de planètes plus petites que Jupiter, ce qui fut hélas confirmé par les faits quelques années plus tard. Par contre, ils montraient clairement que la mission spatiale Kepler [12], que la NASA préparait, devait être à même de détecter des dizaines, voir des centaines de planètes de type terrestre. Mais ce qui fut pour moi le résultat le plus intéressant de cette étude était que la détection de planètes de la taille de la Terre et potentiellement habitables, c’est-à-dire susceptibles d’avoir de l’eau sous forme liquide à leurs surfaces, était possible depuis le sol, à condition de cibler les étoiles plus froides, petites, et moins massives qui soient, les naines rouges. Cette étude était loin d’être parfaite, elle ne se préoccupait par exemple pas de la possibilité d’étudier en détail les planètes détectées, mais elle eut au moins le mérite d’attirer mon attention sur l’intérêt des naines rouges pour la détection de petites planètes par la méthode des transits. Cet intérêt ne fit que croitre durant ma carrière.
Fin 2005, ma thèse était bien avancée : mes résultats d’analyse spectroscopique d’étoiles cibles de CoRoT étaient finalisés, et mon application de Decphot à l’analyse photométrique de données de transit donnait d’excellents premiers résultats [9]. Frédéric Courbin venait d’obtenir un poste de Professeur à Genève, et il y parla de ces résultats à Didier Queloz qui, lui aussi impliqué dans CoRoT et très intéressé par la méthode des transits, me proposa un poste de post-doctorant au sein de son équipe à l’issue de ma thèse, afin de travailler sur la partie exoplanète de la mission CoRoT. J’acceptai avec joie et enthousiasme cette opportunité unique de rentrer de plein pied dans la communauté des chasseurs d’exoplanètes.
Mes recherches à Genève furent donc d’abord axées sur CoRoT, qui fut lancé avec succès en décembre 2006. Dans un premier temps, je travaillai à la préparation d’un programme d’analyse des données du satellite, tout en appliquant Decphot à l’analyse de données de transit prises, entre autres, par le Very Large Telescope (VLT) européen, au Chili. Mes collaborateurs principaux à Genève étaient Didier Queloz, bien sûr, mais aussi Frédéric Pont, un post-doctorant suisse doté d’une expertise reconnue dans le domaine des exoplanètes en transit. En 2007, un évènement fortuit changea le cours de mes recherches : la première détection du transit d’une planète significativement plus petite que Jupiter, GJ436b [13]. Aussi surprenant que cela puisse paraître, ce résultat important fut le fruit de ce que l’on pourrait qualifier d’un hobby. En effet, Brice-Olivier Demory, un étudiant effectuant une thèse sous la direction de Didier Queloz, s’occupait à ses heures perdues de la gestion de l’OFXB, un observatoire amateur à Saint-Luc, dans le Valais Suisse. Il m’y emmena avec Frédéric Pont en 2006, et nous décidâmes de nous amuser à observer un transit d’une exoplanète connue avec ce télescope, avec l’aide de Frédéric Malmann, animateur de l’OFXB s’occupant sur place des visites et des opérations du télescope. L’observation résultat en une détection nette du transit recherché, ce qui nous incita, sous l’initiative de Frédéric Pont, à utiliser l’OFXB pour participer à la confirmation de la planète géante WASP-2b identifiée par le projet anglais WASP. Ce projet fut un succès, et nos données issues d’un télescope amateur contribuèrent ainsi à la découverte d’une nouvelle exoplanète [14]. Enthousiasmé par ces résultats, je proposai à mes comparses d’utiliser l’OFXB pour chercher les transits des petites planètes détectées par vitesse radiale autour de naines rouges visibles depuis l’hémisphère nord. Vu la petite taille de ces étoiles, il y avait en effet un espoir de pouvoir détecter le transit d’une planète de quelques masses terrestres, même avec un équipement amateur. Pour notre premier essai, nous choisîmes GJ436b, une planète d’une masse proche de celle de Neptune découverte en 2004 par une équipe américaine autour d’une étoile de 0.4 masse solaire située à 33 années-lumière de la Terre [15]. L’espoir d’un transit était faible, car les américains qui avaient découvert la planète l’avaient déjà cherché et exclu. Et pourtant, à notre grande surprise, le transit était bien dans nos données, et nous le confirmâmes avec le télescope suisse Euler situé au Chili [13]. Cette détection nous permit de mesurer précisément la taille et la masse de la planète, et de démontrer que sa composition était sans doute similaire à celle de Neptune et d’Uranus, avec un cœur de roche et de glace entouré d’une enveloppe d’hydrogène.
Les premiers résultats du projet WASP et la détection du transit de GJ436b réorientèrent mes travaux à Genève dans deux directions, d’une part l’étude détaillée de GJ436b, notamment avec le télescope infrarouge Spitzer de la NASA [16], et d’autre part le développement de l’utilisation du télescope suisse Euler au suivi des candidats exoplanète trouvés par WASP. Pour cette dernière partie, je pris en charge la gestion de l’observation des transits des candidats et planètes WASP, qui devint vite le projet de recherche de planètes en transit depuis le sol le plus prolifique, ce qui est toujours le cas aujourd’hui. Les années 2007 à 2009 virent une multiplication des détections de planètes en transit, grâce à CoRoT, WASP, et plusieurs autres projets, et je focalisai aussi une partie de mes travaux sur la mesure très précise non seulement de transits de certaines de ces planètes, mais aussi de leurs occultations. Ce terme réfère au passage de la planète derrière l’étoile, ce qui entraîne la disparition de son flux. L’observation photométrique de l’évènement à très haute précision permet donc de mesurer (de manière négative) l’émission propre de la planète, ce qui peut nous renseigner sur la composition et la structure de son atmosphère (ou de sa surface pour une planète sans atmosphère). Dès 2005, deux équipes américaines utilisèrent Spitzer pour détecter dans l’infrarouge l’occultation de planètes géantes fortement irradiées [17,18]. A partir de 2007, je m’investis avec mes collègues dans la mesure de telles occultations, que ce soit avec Spitzer [19,20] ou le VLT au Chili, ce qui nous permit notamment d’obtenir la première détection robuste de la lumière d’une exoplanète depuis le sol [21].
Mes premières expériences avec Spitzer, dans le cadre de l’étude de GJ436b, me convainquirent très vite de l’énorme potentiel de ce télescope spatial de 85cm pour la détection de transits d’exoplanètes de petites masses en orbite autour d’étoiles proches. Pour les petites naines rouges, une telle détection peut être réalisable depuis le sol, même avec un télescope de taille modeste comme démontré par GJ436b, mais ce n’est plus le cas pour les étoiles de type solaire, qui sont plus grandes et engendrent donc des transits de plus petites amplitudes (pour une même planète). Il faut alors se tourner vers un télescope spatial capable d’observer en continu durant des heures une étoile avec une précision supérieure à celle atteignable depuis le sol. Il me semblait clair que Spitzer était parfait pour la tâche, et en 2008, j’entamai avec mes collègues un programme de recherche des transits des planètes de petite masse découvertes par vitesses radiales autour d’étoiles proches [22].
En 2009, mon post-doctorat à Genève s’acheva, et je rentrai à Liège, dans le groupe de Pierre Magain, pour y entamer un deuxième post-doctorat axé sur le développement de l’étude des exoplanètes en transit en Belgique, avec notamment en tête un projet de télescope robotique de taille relativement modeste dédié à l’observation de transits d’exoplanètes. Je trouvai l’inspiration de ce projet en 2007 lors de la confirmation des transits de GJ436b. Mes collègues de Genève et moi collaborâmes alors avec Tsevi Mazeh et Avi Shporer, deux astronomes israéliens qui utilisèrent un télescope robotique de 46 cm pour observer un transit de la planète. Je fus particulièrement impressionné par ce petit télescope capable d’observer un transit de manière totalement automatique – via un simple jeu d’instructions envoyées par internet – et dont les données résultèrent en un excellente précision photométrique et une détection claire du transit. Je parlai d’abord de mon envie d’installer une version plus grande et plus sensible de ce télescope au Chili à Didier Queloz, qui soutint l’idée avec enthousiasme. Une fois de retour à Liège, je partageai l’idée avec Emmanuël Jehin, un expert en observations de petits corps du système solaire (astéroïdes et comètes) au sein du groupe de Pierre Magain, qui trouva le concept intéressant pour ses propres recherches. Ensemble, et avec l’aide de Didier Queloz et un financement du Fond de la Recherche Scientifique (FNRS) Belge, nous réalisâmes donc ce projet que nous baptisâmes TRAPPIST pour TRAnsiting Planets and PlanetesImals Small Telescope (« petit télescope dédié aux planètes en transit et aux petits corps »). En 2010, année où je fus engagé par le FNRS comme chercheur permanent, nous installâmes notre télescope robotique de 60cm au sein de l’Observatoire européen de La Silla, dans le désert de l’Atacama au Chili, le dédiant à 75% aux transits exoplanétaires (sous ma direction) et à 25% à l’imagerie et au suivi photométrique de petits corps (sous la direction d’Emmanuël Jehin).
Dans un premier temps, le programme exoplanète de TRAPPIST se focalisa essentiellement sur le suivi photométrique des candidats exoplanètes détectés par divers projets de recherche de transit, surtout WASP pour lequel TRAPPIST devint vite un élément essentiel du succès [23]. A ce jour, TRAPPIST a ainsi contribué à la découverte de plus d’une centaine d’exoplanètes en transit identifiées par WASP, CoRoT, et d’autres projets. Depuis 2010, nous utilisons aussi TRAPPIST pour traquer les transits de planètes détectées en vitesse radiale autour de naines rouges proches, ce qui nous a permis en 2011 de révéler le transit d’une planète similaire à GJ436b détectée par le spectrographe HARPS [24].
En parallèle au développement de TRAPPIST, mon projet sur Spitzer de recherche de transits de planètes en orbite autour d’étoiles de type solaire a obtenu son premier résultat en 2011 avec la détection d’un transit de 55 Cnc e [25], une « super-Terre » de huit masses terrestres complétant toutes les 19 hr une orbite autour de son étoile située à 40 années-lumière de la Terre. L’étude subséquente de cette planète se révéla passionnante, puisqu’elle démontra sa nature essentiellement rocheuse, mais aussi permit la détection (par occultation) de son émission thermique [26] – une première pour une super-Terre – et révéla la nature variable de cette émission [27]. Une telle variabilité pourrait s’expliquer par un intense volcanisme résultant des forces de marée immenses engendrées par la proximité de l’étoile. Ce résultat souligne un fait important : tout comme notre monde, les exoplanètes ne sont pas des objets figés, mais bien le théâtre d’une évolution constante. Récemment, nous avons obtenu avec Spitzer un résultat tout aussi intéressant, en détectant les transits de deux planètes rocheuses de quelques masses terrestres en orbite autour d’une étoile située à seulement 21 années-lumière de la Terre, ce qui en fait les exoplanètes en transit les plus proches connues à ce jour [28]. Leur étoile hôte étant très proche (et même visible à l’œil nu) et très bien caractérisée, nous avons pu mesurer de manière très précise la masse et le rayon des deux planètes, révélant ainsi que leurs compositions doivent être similaires à celle de la Terre, ce qui valide leur qualification de « super-Terres ».
Les deux super-Terres de HD219134 font partie d’un système d’au moins cinq planètes, dont quatre de plusieurs masses terrestres sur des orbites plus courtes que celle de Mercure, la planète la plus interne de notre système solaire. Les recherches d’exoplanètes par vitesses radiales et Kepler ont démontré que de tels systèmes compacts composés de plusieurs « super-Terres » proches de leur étoile sont très fréquents dans la Galaxie, puisque ce sont entre 30 et 50% des étoiles de type solaire qui en abritent [29]. Si l’on ajoute l’observation établie qu’à peine 10% des étoiles similaires au Soleil abritent une planète analogue de Jupiter [29], une géante gazeuse sur une orbite circulaire d’une dizaine d’années, on se rend alors compte que l’architecture de notre système solaire n’est pas du tout la norme dans notre Galaxie. Tout comme les premières détections de « Jupiter chaudes », ces résultats démontrent que les processus de formation et d’évolution des systèmes planétaires sont hautement stochastiques. L’écrasante majorité des étoiles sont entourées à leur naissance d’un disque de gaz et de poussières dans lequel les planètes se forment très facilement par collision et accrétion de matériel, mais des phénomènes telle que la migration des (proto)-planètes par interaction avec le disque ou leurs interactions mutuelles rendent leur évolution chaotique, et parfois très violente. Certaines planètes peuvent être expulsées de leur système, d’autres peuvent migrer très près de l’étoile et entrainer d’autres planètes dans leur migration. D’autres encore peuvent se retrouver sur des orbites extrêmement elliptiques. Selon leur distance à l’étoile, la nature même des planètes peut changer. Ainsi, une planète similaire à Neptune, composée d’un noyau de roche et de glace de quelques masses terrestres entouré d’une importante enveloppe gazeuse d’hydrogène, peut migrer si prêt de l’étoile qu’elle va perdre rapidement son atmosphère primordiale sous l’effet de l’intense irradiation reçue de son astre, et devenir ainsi ce qu’on appellera une « super-Terre » solide. En étudiant les systèmes exoplanétaires, on peut donc prendre mesure de la particularité de notre système solaire et le regarder dans une perspective bien plus vaste et plus intéressante que celle dont nous disposions il y a encore quelques décennies.
Comme mentionné plus haut, les éclipses (transits et occultations) d’une exoplanète rendent possible l’étude de ses propriétés atmosphériques. Depuis 2002, plusieurs dizaines de planètes géantes en orbite autour d’étoiles proches ont ainsi vu leurs atmosphères caractérisées grâce à leurs éclipses, ce qui a permis notamment la détection de plusieurs molécules et atomes pour certaines d’entre elles [30]. Appliquer la même approche à des planètes telluriques et plus tempérées (voir potentiellement habitables) est possible, mais seulement autour d’étoiles très proches et bien plus petites que le Soleil. En effet, cette approche se base sur des mesures indirectes où le signal atmosphérique recherché est noyé dans la lumière de l’étoile. Pour les transits, il s’agit de la faible filtration par le mince anneau atmosphérique de la planète d’une minuscule partie de la lumière émise par l’étoile dans notre direction. Pour les occultations, il s’agit de la disparition de la faible contribution de la planète au flux total du système lors de son passage derrière son étoile. Dans les deux cas, le signal recherché est d’autant plus grand que l’étoile est petite (et froide, pour les occultations), et la précision d’autant plus grande que l’étoile est proche. Dans ce contexte, il est facile de conclure que les naines rouges les plus proches mais aussi les plus petites et froides sont les meilleures cibles possibles pour la caractérisation détaillée de petites planètes telluriques par l’approche des transits. Ces étoiles sont dites naines ultra-froides. Leurs tailles sont similaires à celle de Jupiter (soit dix fois plus faible que celle du Soleil), leurs masses sont comprises entre sept à dix pourcents de celle du Soleil, et leurs températures de surface sont plus de deux fois inférieures à celle de notre étoile. Vu leur petite taille et leur faible température, ces minuscules étoiles, même les plus proches, sont des objets très faibles qui de plus émettent la majorité de leur lumière dans l’infrarouge. De par leur faible luminosité, leurs éventuelles planètes doivent se trouver sur des orbites très courtes, de quelques jours de période, pour recevoir la même quantité de lumière reçue par la Terre du Soleil, et donc être potentiellement habitables.
Les naines ultra-froides sont très fréquentes dans la Galaxie, représentant quelques quinze pourcents de sa population stellaire, et pourtant elles ont été presque totalement ignorées par les recherches d’exoplanètes jusqu’à ce jour malgré l’opportunité qu’elles représentent pour l’étude atmosphérique de planètes telluriques en transit. La raison en est double. D’une part, ce sont des cibles à priori très difficiles pour la détection d’exoplanète : elles sont très faibles, n’émettent quasiment pas de lumière visible, et ont souvent été présentées, à tort, comme extrêmement variables. D’autre part, des travaux théoriques ont conclu que, du fait de la faible masse de leurs disques protoplanétaires, elles devaient former de très petites planètes, bien plus petites que la Terre, très difficiles à détecter et peu propices à l’existence d’une atmosphère dense et de conditions habitables à leur surface [31]. Malgré ces à priori négatifs, j’ai initié en 2011 un projet prototype sur TRAPPIST visant à vérifier si un télescope de taille modeste opérant depuis le sol pouvait oui ou non détecter des Terres en transit devant ces petites étoiles. La liste des cibles de ce prototype était composée d’une cinquantaine de naines ultra-froides, les plus brillantes visibles depuis l’hémisphère sud. Ses premiers résultats se révélèrent très encourageants, démontrant des précisions photométriques suffisantes, et des niveaux de variabilité des cibles assez modérés, pour la détection des petites planètes recherchées.
Un résultat bien plus encourageant survint en septembre 2015, avec la détection nette de transits dans la photométrie d’une des naines ultra-froides ciblées, rebaptisée TRAPPIST-1 depuis lors. Nos observations avec TRAPPIST, avec d’autres télescopes au sol, et avec le télescope spatial Spitzer, révélèrent la présence de sept planètes de taille terrestre autour de cette petite étoile de 12% la taille du Soleil située à 40 années-lumière de la Terre, dans la constellation du Verseau [32,33]. Ces sept planètes forment un système très compact, leurs distances orbitales allant de 1 à 6 pourcent de celle de la Terre (150 millions de kilomètres). Leurs périodes orbitales sont toutes commensurables, c’est-à-dire reliées entre elles par des rapports de nombres entiers, comme c’est le cas pour les satellites de Jupiter Io, Europe, et Ganymède [34]. Une telle « chaîne de résonance » suggère une formation des planètes à des distances plus grandes de l’étoile, dans des régions plus froides et riches en glaces du disque protoplanétaire originel, suivie de leur migration conjointe par interaction avec la composante gazeuse du disque. Ce mécanisme explique aussi l’origine des systèmes compacts de super-Terres dont Kepler a révélé la haute fréquence dans la Galaxie. Dans le cas de TRAPPIST-1, il rend probable une composition originelle riche en eau pour les planètes, vu leur formation dans un environnement suffisamment froid pour que l’eau y soit sous forme solide. Une telle composition, très différente de celle de notre planète, est en accord avec les premières estimations des densités des planètes [33]. Cette possible richesse en eau des planètes est très intéressante d’un point de vue astrobiologique, surtout pour trois des planètes qui orbitent dans la zone habitable de l’étoile, la gamme de distances orbitales pour laquelle de l’eau sous forme liquide est possible à la surface d’une planète tellurique.
Avec mon équipe, nous avons entamé la caractérisation approfondie de cet extraordinaire système. Grâce à son observation intensive avec Spitzer et de nombreux télescopes au sol, nos mesures des densités des planètes ne cessent de s’améliorer, et nous pensons pouvoir apporter très bientôt des contraintes déterminantes sur leurs compositions. De plus, la proximité du système et la petite taille de l’étoile hôte rendent possible l’étude de l’atmosphère des planètes. Sous la direction de mon collègue Julien de Wit (MIT), nous avons entamé cette étude avec le télescope Hubble [35], et elle s’intensifiera sensiblement dès 2021 avec le lancement du télescope James Webb qui sera capable de contraindre la composition de ces atmosphères, et d’y détecter de possibles traces chimiques d’activité biologique.
La découverte de TRAPPIST-1 n’est que le premier pas de notre recherche de planètes telluriques se prêtant à une caractérisation détaillée autour des naines ultra-froides les plus proches. Dès 2013, devant les résultats prometteurs du prototype sur TRAPPIST, j’ai initié avec quelques collègues le projet SPECULOOS basé sur la recherche systématique de transits sur les milles naines ultra-froides les plus proches grâce à un réseau de télescopes robotiques. Financé essentiellement par le Conseil Européen de la Recherche, SPECULOOS est une collaboration dirigée par l’Université de Liège et impliquant diverses institutions internationales. Au moment où j’écris ces lignes, son observatoire principal dans l’hémisphère sud vient de rentrer en opération à Paranal, dans le désert de l’Atacama, et d’entamer sa recherche de systèmes semblables à celui de TRAPPIST-1. La découverte de ce dernier suggère que les naines ultra-froides sont fréquemment entourées de planètes de taille terrestre en orbites compactes, ce qui augure de nombreuses détections à venir pour SPECULOOS.
L’objectif de SPECULOOS est de découvrir des exoplanètes telluriques en transit qui soient à la fois potentiellement habitables, voir habitées, et qui se prêtent à une caractérisation atmosphérique poussée avec les télescopes existants ou en cours de préparation. D’autres projets suivent une voie similaire, mais axée sur des naines rouges un peu plus grosses que les naines ultra-froides. Je citerai le projet MEarth basé sur des télescopes robotiques de 40 cm au sol, et surtout TESS, la prochaine mission spatiale axée sur les exoplanètes de la NASA. TESS sera lancé en 2018, et il devrait trouver de nombreuses super-Terres potentiellement habitables autour de naines rouges proches. Certaines d’entre elles, comme les planètes TRAPPIST-1, seront sans doute des cibles intéressantes pour James Webb et d’autres télescopes futurs. L’étude de ces planètes va bientôt rendre possible la comparaison détaillée de notre Terre, Vénus et Mars avec d’autres planètes similaires en taille, en masse, et en irradiation, mais néanmoins bien différentes en termes d’environnement. En effet, les planètes « potentiellement habitables » des naines rouges orbitent bien plus prêt de leur petite étoile que la Terre du Soleil, ce qui pourrait très bien compromettre leur potentiel d’abriter la vie. Les étoiles les plus petites restent souvent actives durant des milliards d’années, noyant ainsi leur zone habitable d’intenses rayonnements de haute énergie (rayons X et UV, particules chargées) capables, en théorie du moins, d’éroder totalement l’atmosphère d’une planète similaire à la Terre, détruisant ainsi son potentiel d’abriter la vie. De plus, leur zone habitable est si proche d’elles que les planètes s’y trouvant sont plongées dans le champ gravitationnel de l’étoile, ce qui les poussent à synchroniser leur rotation avec leur orbite, et donc à toujours montrer la même face à l’étoile (comme la Lune à la Terre). L’influence gravitationnelle de l’étoile proche pourrait aussi engendrer des volcanismes intenses capables de stériliser totalement les planètes.
Ces considérations théoriques ne doivent pas amener la conclusion prématurée que les naines rouges n’ont aucun intérêt astrobiologique. Sans observation pour les contraindre, les scénarios théoriques les plus pessimistes peuvent être contrés par des scénarios plus optimistes, et inversement. Le fait réellement important est que nous sommes à l’aube de pouvoir étudier en détail certaines ces planètes. Si nous y trouvons des traces d’activité biologique, alors l’hypothèse selon laquelle la vie est un phénomène courant à l’échelle de l’Univers en sera fortement renforcée. Si au contraire tous ces mondes se révèlent être des boules de roches sans atmosphère, stériles, alors notre existence autour d’une étoile plus massive et chaude gagnera en sens, et renforcera notre désir de découvrir de vraies jumelles de la Terre, des planètes similaires à la nôtre en orbite autour d’étoiles semblables au Soleil. La méthode de choix pour de telles découvertes ne sera plus celle des transits, mais bien l’imagerie directe, qui a beaucoup progressé ces dix dernières années, au point que certains prédisent sa découverte d’une « Terre 2.0 » d’ici une à deux décennies.
En s’appliquant à des types d’étoiles différents (naines rouges versus étoiles de type solaire), les méthodes des transits et de l’imagerie directe sont complémentaires. Leurs progrès récents nous ont amenées à l’aube d’une réponse à la question de la possible existence de vie ailleurs. Quelle que soit la réponse, elle révolutionnera notre vision de notre place dans l’Univers.