Suisse
Prix Balzan 1990 pour le droit international privé
Aspects d’un itineraire d’internationaliste – Rome, 16.11.1990
INTRODUCTION
Paul Reuter, Prix Balzan 1981 et un grand maître du droit international public, que j’ai bien connu, se disait homme des frontières et Européen de naissance. Si je me suis voué à une discipline voisine de la sienne, le droit international privé, mes origines y sont aussi pour beaucoup, sans doute. Comment ne pas être fasciné par les relations internationales lorsqu’ ‘on est, comme moi, citoyen d’un petit pays au cœur de l’Europe, la Suisse, pays traditionnel d’immigration et d’émigration, qui dépend plus que bien d’autres du commerce extérieur, et que l’on est né dans une famille où se mêlent les ascendances françaises, allemandes et autochtones et dans un milieu imprégné par une vieille tradition d’internationalisme socialiste et pacifiste ?
A l’Université de Genève, une trop large curiosité – ou faudrait-il dire une incapacité de choisir et de se spécialiser ? – m’a conduit à mener en parallèle des études de lettres et de droit et, plus tard, à être, tel l ‘ « Arlecchino servitore di due padroni», l’ assistant puis le collaborateur à la fois des professeurs Georges Sauser-Hall, en droit international privé et en droit comparé, et Maurice Bourquin, en droit international public.
Parti ensuite à King’s College, Cambridge, travailler le droit international public auprès de Hersch Lauterpacht grâce à une bourse du British Council, c’est en cette Université que j ‘eus la révélation, d’une part de l’intérêt de la common law et du droit comparé, d’autre part de l’importance capitale de la méthode comparative en droit international privé, bénéficiant notamment de l’enseignement et de l’exemple de maîtres comme H.C. Gutteridge et Kurt Lipstein II m ‘apparut alors que, parmi les juristes formés dans la tradition civiliste, les Suisses, de par leur expérience juridique nationale et certaines affinités avec le pragmatisme du droit anglo-américain, avaient peut-être plus de facilité que d’autres à assimiler l’esprit particulier et la riche expérience de la common law.
C’est ce dont, plus ou moins consciemment, je fis la démonstration dans une thèse de doctorat consacrée à un sujet alors réputé obscur du droit international privé anglais et comparé, sous le titre « The Transfer of Chattels in the Conflict of Laws », qui fut accueillie par les juristes anglais beaucoup mieux que je ne l’avais espéré. C’est de cette époque que date ma passion pour la science du droit international privé, que je devais enseigner plus tard à Genève.
Les hasards de la carrière m ‘ont amené, com me d’autres, à écrire ou enseigner dans des domaines divers, tels le droit international public, le droit civil, la procédure civile ou le droit européen ; ainsi, dans le premier domaine, sur les droits acquis des étrangers, les nationalisations ou l’ arbitrage entre Etats; en droit civil je me suis attaché surtout aux deux domaines du droit de la famille et de la responsabilité de l ‘écrivain. Enfin, en droit européen, j ‘ai été fort intéressé par les mécanismes communautaires d’harmonisation, de coordination et de rapprochement des législations ainsi que – au cours d’enseignements à la « Parker School » de Columbia University – aux aspects internationaux du droit des sociétés, de l’établissement et des restrictions de concurrence. A l’exception peut-être du droit civil suisse de la famille (où j’eus la satisfaction de contribuer directement à la réforme du droit, tout à fait dépassé, socialement et moralement, de la « filiation illégitime »), je n’ai apporté aucune contribution notable à la science du droit au cours de ces « pérégrinations scientifiques », mais elles eurent l’avantage d’élargir mes horizons et de me confirmer dans la nécessité d’une approche à la fois interdisciplinaire et comparative des phénomènes sociaux.
C’est le droit international privé qui, très vite, m’a fasciné par sa variété, I’ ampleur exceptionnelle de son champ d’investigation (qui couvre toutes les branches du droit civil et commercial et d’autres matières, même de droit public, cela pour une pluralité de pays), ainsi que par son caractère à la fois très pratique, philosophique et scientifique – des traits qui appellent ici deux mots d’explication.
OBJET ET FINALITE DU DROIT INTERNATIONAL PRIVE
Si le monde était un, soumis à un seul système de normes juridiques, il n ‘existerait pas de droit international privé. Or ce monde est divisé (en maints sens du terme) en plus de 170 Etats souverains ayant chacun leur propre droit, cependant que les relations individuelles « transfrontières » se multiplient dans tous les domaines, notamment au gré des migrations de travailleurs ou de touristes, d’un intense commerce international et d’une facilité accrue des communications.
Le droit international privé – droit de la diversité des systèmes juridiques, de leurs « conflits » ou de leur coordination – a donc pour but de réduire autant que faire se peut, sinon de supprimer, les graves inconvénients causés aux personnes (individus, associations, sociétés, etc.) dans leurs relations transfrontières par cette « fragmentation » des droits étatiques, c’est-à-dire par ce « morcellement politico-juridique » d’un monde chaque jour plus internationalisé en fait.
Combien de personnes se voient ainsi les destinataires de règles ou de décisions contradictoires, et sont placées dans des situations inextricables et coûteuses, leur statut ou leurs droits, valables dans un pays, étant niés ou nuls dans un autre ? Le droit international privé a donc un but pratique et il intéresse directement la vie quotidienne de l ‘homme contemporain, qu’il s’agisse de la vie économique ou familiale, de commerce, de loisirs, de culture, etc.
Qu’il soit un art ou une science – une science appliquée – ou encore une forme de « social engineering », le droit international privé ne peut se concevoir et se comprendre en dehors de l’observation sociale, et l’on pourrait dire que la pratique lui sert de laboratoire. Aussi le chercheur ne serait-il se borner, en cette matière, à lire et à enseigner. Bartole, Balde, Dumoulin et les Statutistes en général, italiens, français, néerlandais, ont été des consultants ou des avocats en même temps que des professeurs et des savants. Pour ma part, en accord du reste avec la tradition de mon pays et de mes maitres, j ‘ai jugé nécessaire, pour obtenir une vision aussi large que possible du phénomène juridique, de ne pas me limiter à l ‘analyse régulière de la jurisprudence et à l’enseignement universitaire, mais aussi de consulter, de conseiller le législateur et de me livrer à cette fascinante activité « parajudiciaire » qu’est celle de l’arbitre international.
Ce que l’un de mes maîtres, le civiliste Walter Yung, appelait « l’ union fraternelle de la pratique et de la théorie » n’est nulle part plus nécessaire qu’en droit international privé, une discipline réputée, depuis des siècles, être d’un accès très difficile, par sa nature et l’ extraordinaire complexité de son objet – complexité accrue, à notre époque, par la rencontre quotidienne de cultures juridiques jadis rarement en contact et par la vitesse des communications. Mais la difficulté de cette discipline tient aussi à son caractère scientifique et doctrinal, de par la place qu’y tiennent les analyses théoriques, les problèmes de méthode et de logique, les questions abstraites comme la théorie des qualifications ou celle de la « question préalable », pour ne citer qu’elles, sans parler des titres d’application de la loi étrangère, de la notion de « conflits de systèmes » ou, plus récemment, celle d’un « droit transnational » constituant peut-être un tiers-ordre juridique, intermédiaire entre les droits internes et le droit des gens.
En droit international privé, a écrit Hans Lewald, « il n’est rien qui ne soit controversé ». Sur le Continent européen, les doctrines modernes, à partir de la moitié du XIXe siècle environ, notamment en Italie, en Allemagne et en France, ont rivalisé dans la théorisation et le raffinement doctrinal, succombant parfois aux fascinations de la « Begriffsjurisprudenz » ou à une sorte de « subtilitas » analogue à celle de ces Ecoles de droit de Beyrouth ou d’Alexandrie contre laquelle Justinien, déjà, avait voulu réagir pour revenir à la simplicité.
Il était normal que surgît ce que l’on a appelé la « crise » du droit international privé, avec une remise en question des méthodes, classiques depuis Savigny, du « conflictualisme ». Un fort courant doctrinal venu des Etats-Unis, en particulier, devait susciter en Europe certains mouvements d’imitation ou au moins des doutes sur les acquis de la science européenne.
C’est dans ce contexte que, tout en poursuivant d’autre part l’analyse critique régulière des faits sociaux révélés par la jurisprudence, en particulier dans le droit international de la famille, j ‘ai jugé nécessaire de me consacrer d’abord à la théorie générale et aux problèmes fondamentaux, de structure et de méthode, du droit international privé, et en étudiant de près les doctrines présentées comme nouvelles et même comme « révolutionnaires » par les « néostatutistes » américains et leurs émules européens. Cette recherche – dont les résultats ont fait l’objet d’un ouvrage intitulé « Tendances et méthodes en droit international privé » – tente de faire le point sur cette « crise ». Par-delà de nombreuses différences de conceptions et d’approches, les auteurs américains et, en Europe, les partisans d’une théorie très à la mode dite les » lois d’application immédiate » se rejoignaient d’une part pour rejeter la méthode conflictualiste classique, comme « abstraite, aveugle et mécanique », d’autre part pour favoriser « nolens volens » le nationalisme juridique et la primauté de la loi locale, ou loi du for, sur la loi étrangère. Alors que je les avais abordées sans a priori aucun, ces diverses doctrines me parurent fragiles dans leurs constructions et malfaisantes dans leurs résultats. Ma critique, qualifiée de « vigoureuse » par les commentateurs, conclut à l’utilité d’un pluralisme des méthodes et à la conservation des acquis principaux d’une expérience séculaire dans les relations internationales privées. Aujourd’hui comme hier et davantage qu’hier, le droit international privé doit être conçu dans un esprit universaliste, comme un instrument essentiel d’harmonisation, un moyen de renforcer la coordination et la justice internationales dans les relations transfrontières, en surmontant les particularismes des systèmes juridiques internes et les égoïsmes nationaux.
SCIENCE ET REFORME DU DROIT INTERNATIONAL PRIVE
La complexité des situations internationales qu’étudie, et s’efforce de démêler, le droit international privé ou, plutôt, les divers systèmes nationaux de droit international privé en concurrence ou en conflit, explique l’incertitude et le caractère souvent imprévisible ou insatisfaisant des solutions. Aussi la doctrine juridique exerce-t-elle ici une influence exceptionnelle sur la pratique, notamment celles du juge et du législateur. Ce rôle créateur confère à l’internationaliste la responsabilité – en même temps que la fierté – de susciter ou orienter les décisions du juge ou les travaux des législateurs, de stimuler les réformes, bref d’être un acteur dans l ‘évolution, technique, sociale et morale de la « société internationale » en formation.
Chaque internationaliste exerce ce rôle, bien entendu, selon son propre tempérèrent et ses convictions, partout où il le peut. Pour ma part, appelé à interpréter et à enseigner un droit international privé suisse fondé sur une loi désuète et techniquement déficiente de la fin du XIXe siècle (la loi suisse de 1891), je me suis attaché, avec quelques autres, à convaincre la jurisprudence d’interpréter les textes avec imagination et audace, au besoin « contra legem », en matière de droit international de la famille en particulier, là où ces textes conduisaient par exemple des travailleurs italiens ou espagnols en Suisse à des situations sans issue. Il faut rendre ici cet hommage à nos juges cantonaux et fédéraux qui, dans la plupart des cas, se sont appuyés sur nos écrits pour sortir de l’impasse à laquelle menait le droit en vigueur.
Ces mêmes impasses, dénoncées par la doctrine suisse, devaient finalement aboutir à la codification générale du droit international privé ; s’étendant sur une bonne quinzaine d’années, l’élaboration du projet de loi fédérale (en vigueur depuis le 1er janvier 1989) fut pour mes collègues et moi-même un « laboratoire » certes astreignant mais extraordinairement instructif. On peut en dire autant des divers travaux de « codification internationale » auxquels j’ai eu l’occasion d’être associé, dans des matières spécifiques, par exemple au sein de la Commission internationale de l ‘Etat civil ou de la Conférence de La Haye de droit international privé.
TROIS « AXES » DE RECHERCHES
a) Le droit public étranger
C’est l’analyse critique et comparative de la jurisprudence qui m ‘a incité, dès 1964, à remettre en question le principe, constamment affirmé par la pratique et la plupart des auteurs, selon lequel le droit public étranger serait inapplicable par nature. Au nom de ce véritable dogme, la jurisprudence n’hésitait pas, par exemple, à refuser de tenir compte d’une créance fondée sur une loi étrangère de sécurité sociale, ou à appuyer l’exécution d’un contrat conclu en violation intentionnelle d’une loi étrangère sur le contrôle des changes ou sur l’embargo à l’exportation de biens culturels. Si un Etat ne saurait certes appuyer systématiquement et à l’aveugle n’ importe quelle politique législative étrangère au service d’ intérêts nationaux particuliers, souvent égoïstes, en revanche cette attitude traditionnelle de repli, celte absence de solidarité internationale m’est assez vite apparue comme contestable et dépassée par l’évolution de la société internationale.
Aujourd’hui on est fort loin de celte altitude, et il suffit pour s’en convaincre de jeter un coup d ‘œil à l’art. 13 de la loi fédérale suisse sur le droit international privé ou à l’art. 7 de la Convention de Rome du Marché Commun sur la loi applicable aux obligations contractuelles. C’est pour moi une des satisfactions de mon activité scientifique que d’avoir contribué à ce progrès important, notamment par mes rapports à l’Institut de Droit International en 1975 et 1977.
b) Contrats avec des Etats, droit transnational et arbitrage international
La transformation du rôle de l’Etat et l’activité de ce dernier, directe et indirecte, dans le commerce international depuis la dernière guerre mondiale surtout, ne pouvaient manquer de faire sentir leurs effets en droit international privé. Des problèmes complexes surgissaient, (mal connus du public, mais que J’activité de consultant, avocat ou arbitre offrait le privilège d’observer de l’intérieur) du fait des relations « transnationales » dans le commerce entre Etats (ou organisations internationales) et sociétés privées étrangères. Plusieurs de mes recherches et publications ont été ainsi consacrées au cours de ces quinze dernières années aux contrats entre Etats et personnes privées étrangères et à l’arbitrage du commerce international, soit entre personnes ou sociétés privées, soit dans sa variante particulière de l’arbitrage entre sociétés privées et Etats ou organismes contrôlés par lui.
Avant d’en revenir à l’arbitrage international, je mentionnerai diverses études consacrées – toujours dans le domaine du « commerce international » au sens large – aux entreprises multinationales, aux organisations internationales non gouvernementales, aux effets de la dépréciation monétaire sur les contrats internationaux.
Quant à l’arbitrage international, son extraordinaire expansion constitue sans doute le phénomène le plus significatif du droit international contemporain ; après avoir suscité l’hostilité des Etats, méfiants envers la concurrence de cette « justice privée », il bénéficie aujourd’hui d’une sorte d’engouement, avec l’admission générale d’une sorte de division du travail entre juges étatiques et arbitres internationaux.
Domaine peu accessible de par sa confidentialité même, exigeant encore plus que d’autres l’union de la connaissance pratique et de la réflexion fondamentale, l’arbitrage international n’est pas important seulement par son rôle pacificateur de moyen, aujourd’hui normal et ordinaire, de solution et de prévention des litiges du commerce international. Fait capital pour la science du droit international privé, son importance tient aussi en ce qu’il constitue l’un des modes de constatation et de création d’un droit spontané, d’origine en partie prétorienne, apte à régir souvent mieux que les droits étatiques les relations internationales privées. Qu’on parie ici de droit transnational, de principes généraux du droit (déduits du droit comparé) ou de « lex mercatoria », selon les termes réinventés par Berthold Goldman, les controverses subsistent, mais le fait demeure qu’il s’agit ici à l’évidence d’un droit international privé vivant, substantiel, et nullement limité à l’application exclusive des lois étatiques.
C’est dans la même perspective nouvelle, et bien entendu contestée, que se situe une étude rédigée en 1986 sur la notion d « ‘ordre public transnational » (ou réellement international), que je compte bien poursuivre et développer à l’avenir, dans la mesure où l’évolution et le matériel disponible le justifieront lei aussi, il s’agit d’élargir les horizons du droit international privé classique, de dépasser les schémas traditionnels pour rechercher, compte tenu de l ‘évolution de la « société internationale » et de sa conscience d’une solidarité progressive, si les juges étatiques et les arbitres internationaux ne doivent pas faire prévaloir, sur la loi étatique applicable ou sur les termes du contrat, certaines notions éthiques comme la bonne foi, le respect des droits de l’homme, ou le respect du patrimoine culturel. On mesure d’emblée la difficulté de pareilles recherches mais aussi leur actualité et leur intérêt.
Ajoutons que l’un des aspects les plus fascinants de l ‘observation de ces relations transfrontières, en particulier à partir de ce poste d ‘observation privilégié qu’est l’arbitrage international, n’est pas celui des « conflits de lois » chers à une analyse classique et souvent un peu abstraite, admettons-le; ce ne sont pas même les conflits d’intérêts mais les conflits de cultures ou de civilisations, conflits que la science du droit international privé, alliée au droit comparé et à des disciplines voisines, a pour tâche de résoudre ou tout au moins d’harmoniser.
c) Commerce de l’Art et protection des biens culturels
Un troisième axe de préoccupation et de recherche est celui du commerce international de l’art. Son importance culturelle, économique, politique sautait aux yeux depuis longtemps, et pourtant personne ou presque, assez curieusement, ne semblait y voir l’objet possible d’une recherche comparative de droit international privé. De nombreux Etats, préoccupés à juste titre de la protection de leur patrimoine culturel contre les vols et les exportations illicites, s’étaient réunis au sein de l’UNESCO pour adopter en 1970 une convention, pétrie de bonnes intentions et de belles déclarations générales mais, pour tout juriste formé au droit international privé et au droit civil comparé et conscient des réalités pratiques, destinée à rester assez peu efficace.
Telles sont les réflexions qui m’ont poussé, en 1985, à organiser le premier colloque mondial sur « La vente internationale d’œuvres d’art ». L’idée de départ, qui pouvait paraître aventureuse, était de faire collaborer « théorie » et “pratique », en associant des praticiens du commerce de l’art (marchands, experts, directeurs de musées, commissaires-priseurs) à des spécialistes du droit international et comparé, ainsi qu’à des représentants des organisations internationales intéressées, étatiques ou privées. Dépassant tous les espoirs, le colloque fut répété à Genève, puis à Amsterdam au cours ries années qui ont suivi, et les nombreux rapports rédigés à ces occasions ainsi que les discussions ont fait la matière de trois gros volumes, uniques en leur genre dans ce domaine d’un exceptionnel intérêt des relations internationales.
C’est qu’il ne s’agit pas seulement de commerce international et de liberté des échanges, matériels ou culturels. Il s’agit aussi – d’où une « tension dialectique » manifeste – de la sauvegarde de biens culturels, dont les Etats ont la responsabilité principale, sans toujours posséder les moyens de l’exercer, avec la tentation d’ériger des frontières nationales étanches au préjudice même, peut-être, de cette culture que l’on croit ou prétend protéger.
La traduction juridique de la politique souhaitable, sur le pian international, est une tâche d’une complexité considérable, de par la nature des choses -ainsi qu’il m’a été donné de le vérifier une fois encore en participant au Comité d ‘études créé par l ‘Institut international pour l’unification du droit privé, à Rome (UNIDROIT). Face au libéralisme extrême de certains commerçants, d’une part, êta l’activisme des défenseurs patentés de la protection nationale, sinon nationaliste, du patri moine culturel, d ‘autre part, un juste équilibre n ‘est pas facile à établir. C’est à quoi vont devoir s’employer les gouvernements et les organisations internationales, dont on souhaite qu’ils fassent preuve de raison mais aussi de compétence technique. Dans une nouvelle revue, l’”International Journal of Cultural Property « , créé sous l’impulsion du Professeur John Merryman, nous allons nous efforcer de les y encourager.
QUELQUES DOMAINES D’AVENIR
Les trois domaines qui précèdent – et qui ne sont pas sans liens, on l’a compris – resteront sans doute assez longtemps au premier pian de l’actualité juridique internationale, et j’ai d’autant moins l’intention de les perdre de vue qu’ils ne manqueront pas de se développer et d ‘évoluer. Citons, à titre d ‘exemple, le problème de l’application, par l’arbitre international, du droit de la concurrence ou droit « anti-trust » (droit largement « public »), qu’il soit communautaire ou un droit national étranger. Il est permis de penser que, dans ce domaine comme dans d’autres du « droit économique international « , la pratique fera apparaître des convergences et une solidarité plus grande, qui soient propres à dégager certains principes communs susceptibles de s’ intégrer dans un « droit transnational » en formation.
De mème, la multiplicité des formes de coopération internationale, par organismes conjoints, étatiques, privés ou mixtes, devrait affecter à la fois le contenu, mais aussi les frontières mèmes du droit international privé et ses relations avec le droit international public. C’est dans cette dernière direction, selon toute probabilité, que des recherches interdisciplinaires, appelant la collaboration des spécialistes des deux « familles » d’internationalistes, continueront à s’imposer de plus en plus au cours des décennies à venir. A quai s’ajouteront, bien entendu, les études qu’exigeront les changements « politico-juridiques » actuels (par le passage des pays de l’Est à l’économie de marché, ou par la construction de l ‘Europe), ainsi que les développements techniques (par exemple en ce qui concerne l’utilisation commerciale de la recherche spatiale, le droit international de l’audio-visuel ou la transmission de données informatiques).